L’effet de serre
L’ ÉQUILIBRE DE LA NATURE EN QUESTION
L’effet de serre
Comparée aux rythmes géologiques et astronomiques qui semblent gouverner les grandes modifications des climats du passé, la cadence des changements actuels dans la composition de l’atmosphère globale est donc extrême ment rapide. Nous pouvons considérer ce changement comme une sorte de choc – pour employer un terme du physicien russe Kyrill Yakovlevitch Kondratyev – que subit le système climatique. La question se pose de la stabilité de l’environnement climatique par rapport à cette perturbation très brusque de » l’effet de serre « .
Si nous élargissons notre perspective pour embrasser toute l’histoire de notre planète, le plus frappant est la relative stabilité du climat. Malgré les évolutions (ou à cause d’elles !), malgré les chocs de toutes sortes, le climat de la Terre est toujours resté dans des limites permettant l’existence de l’eau liquide et le développement de la vie. Certes, notre planète a connu des changements majeurs, liés notamment à la dérive des continents, des alternances entre âges glaciaires et périodes plus chaudes. La Terre a également connu des catastrophes, des vraies, comme celle qui a mis fin au règne des dinosaures. Mais, justement, la biosphère a survécu à cette catastrophe, sinon nous ne serions pas ici pour en parler. Nous avons des preuves de l’existence, depuis au moins 3 milliards d’années, de l’eau liquide en quantité (celle des océans) sur notre planète. Or, d’après la théorie de la structure interne et de l’évolution des étoiles, qui rend très bien compte de la variété des étoiles observées, la luminosité solaire a dû augmenter sensiblement (peut-être de 40 %) depuis cette époque, par suite de la conversion en hélium d’une partie de l’hydrogène du noyau et aux ajustements de structure qui y sont associés. Avec un Soleil aussi faible, comment la Terre pouvait elle garder l’eau sous sa forme liquide ?
Et si jamais la Terre avait été entièrement recouverte de glaces, réfléchissant la majeure partie du rayonnement solaire, n’aurait-elle pas dû rester toujours ainsi, même en présence d’une augmentation graduelle de la luminosité solaire ? La clé de ce paradoxe (dit du » Soleil faible « ) semble être justement dans cet » effet de serre « , qui dépend de la composition de l’atmosphère de notre planète, composition qui a dû évoluer au cours des âges. Il semblerait que les multiples interactions entre les constituants de l’atmosphère et les différents composants animés (la vie végétale surtout) et inanimés (les roches et sols, les océans) de la surface de la Terre, aient conduit à une diminution de la quantité de CO2 dans l’air au fur et à mesure que le Soleil devenait plus brillant, compensant l’augmentation solaire par un affaiblissement de l’effet de serre. Ce qui nous ramène au problème du gaz carbonique.
L’effet de serre en question
L’expression se trouve en passe de figurer dans le vocabulaire courant; son sens précis s’estompe, et la confusion s’installe entre l’effet de serre proprement dit et l’intensification de l’effet de serre par l’action de l’homme. L’expression » effet de serre » aussi imparfaite qu’elle soit, désigne pourtant un phénomène bien déterminé qui exige, pour être compris, une certaine connaissance de la physique du système atmosphérique. Et si parlante que soit l’image, on ne doit jamais perdre de vue qu’il ne s’agit que d’une analogie entre un phénomène bien connu par la pratique déjà ancienne des agriculteurs et des horticulteurs et un phénomène beaucoup plus complexe et moins bien connu, qui fait l’objet d’investigations assez récentes de la part des climatologues et des planétologues.
On sait qu’une serre est un dispositif visant à protéger ou à accélérer, voire à » forcer » le développement de certaines plantes. Commençons par une explication idéalisée, simplifiée -et en fait inexacte – de son fonctionnement. Les vitres laissent entrer les rayons solaires, lesquels sont plus ou moins absorbés par tout ce qui se trouve à l’intérieur de la serre, dont, bien sûr, les plantes. Celles-ci, comme tout corps chauffé, émettent un rayonnement infrarouge qui véhicule de l’énergie et limite ainsi leur réchauffement. Mais les vitres, transparentes à la lumière solaire visible, le sont beaucoup moins pour l’infrarouge thermique. Le rayonnement infrarouge ainsi » piégé » à l’intérieur de la serre contribue à maintenir une température élevée, avant de s’évader finalement vers l’extérieur.
L’atmosphère terrestre, comme les vitres de la serre, est transparente à la lumière visible. Mis à part les quelques watts par mètre carré absorbés dans la stratosphère, le gros du rayonnement solaire peut traverser sans encombre l’atmosphère, constituée surtout d’azote et d’oxygène sous forme moléculaire (N2 et 02). Ceci reste en partie vrai même pour un ciel couvert de nuages. Certes les nuages empêchent le rayonnement solaire d’arriver directement au sol ; les gouttelettes d’eaux ou cristaux de glace réfléchissent la lumière de manière plus ou moins aléatoire, en partie vers le haut, en partie vers le bas. La partie réfléchie vers le haut – 30 % en moyenne pour le globe – est bien sûr perdue pour la surface. Sous une couche particulièrement épaisse de nuages, cette fraction peut atteindre 85 %. Il fait alors presque nuit au sol, même à midi, les éclairages se mettent en route… Mais ces conditions ne se rencontrent pas souvent à Paris, par exemple -peut-être quelques fois par décennie et non chaque année. La plupart du temps, la proportion de lumière diffusée vers le bas sous ciel couvert reste importante, et en moyenne sur le globe, près de la moitié du rayonnement solaire atteint le sol. Ce rayonnement peut donc être absorbé par les plantes, le sol, les océans ; c’est ainsi que la surface de la Terre commence à être chauffée et à rayonner en infrarouge. Mais l’atmosphère bloque une partie du rayonnement infrarouge et piège ainsi, comme les vitres d’une serre, une partie de la chaleur absorbée s’en tenir à ce mécanisme simple, l’analogie apparaît tout à fait justifiée. Mais la réalité du phénomène est évidemment plus complexe.
Pour les serres de nos jardiniers, il faut préciser que les vitres jouent un autre rôle, la plupart du temps bien plus important: elles empêchent l’air ainsi chauffé (et humidifié par l’évapotranspiration des plantes) de sortir de la serre et d’être remplacé par de l’air froid venant de l’extérieur. En termes techniques, il n’y a pas, à l’intérieur de la serre, de mouvements de convection, c’est-à-dire de courants d’air. C’est ce que l’on constate aisément lorsque, ici ou là, une vitre est brisée : les mouvements de convection reprennent, et la température baisse. Les grandes serres, comme les serres d’Auteuil à Paris, utilisent d’ailleurs des dispositifs d’ouverture de fenêtres (et aussi des sources de chauffage artificiel) pour maintenir les températures à un niveau optimum aussi bien lors des grandes chaleurs de l’été que lors des journées froides et sans soleil de l’hiver.
Qu’en est-il de l’atmosphère terrestre ? La surface de la Terre peut en effet perdre de la chaleur par des courants d’air multiples, par des mouvements convectifs turbulents, avec des mouvements ascendants chauds et des mouvements descendants froids (des flux de chaleur dite » sensible « ). Elle peut encore perdre de l’énergie sous forme de chaleur » latente » qui correspond à l’énergie nécessaire pour que l’eau s’évapore. Cette chaleur est emportée de la surface, où l’eau s’évapore, pour être restituée à l’atmosphère là où se condense la vapeur d’eau. Tous ces mouvements dans l’atmosphère, plus ou moins réguliers et plus ou moins violents, jouent un rôle important dans la répartition des températures dans l’atmosphère et dans son équilibre. Or, si un phénomène de convection peut exister entièrement à l’intérieur d’une serre bien fermée, il est dans ce cas trop faible pour avoir quelque incidence notable sur la distribution des températures – sauf s’il s’agit d’une serre géante, ou d’un stade couvert par un toit transparent.
Quant aux sources de chaleur interne – analogues aux chauffages d’appoint des serres d’Auteuil, au métabolisme des 50 000 spectateurs dans le stade – faut-il en tenir compte lorsqu’on aborde le problème de l’équilibre de l’atmosphère terrestre? Dans l’ensemble, non: seules quelques dizaines de milliwatts par mètre carré sortent de l’intérieur de la Terre, en moyenne quelques milliers de fois plus faibles que les flux d’énergie d’origine solaire. Bien sûr, on peut se brûler les pieds en s’approchant trop d’un volcan en activité. Dans les villes, les températures s’élèvent selon les quantités de chaleur importées et dégagées localement – énergies fossiles stellaire l’électricité nucléaire) et solaire (charbon, pétrole, gaz naturel).
Depuis plusieurs décennies « l’île de chaleur » de Paris se développe : la différence des températures du centre de la ville par rapport à celles de la grande banlieue va croissant Le même phénomène s’observe dans la plupart des grandes villes, surtout celles où les rigueurs de l’hiver (ou de l’été, lorsqu’on est assez riche pour mettre en marche la climatisation) conduisent à des consommations énergétiques comparables, voire supérieures, aux flux naturels d’énergie. Ces effets, importants à l’échelle locale et exceptionnellement régionale, restent négligeable à l’échelle du globe, mais il faut s’en méfier lorsqu’on analyse les relevés des stations météorologiques. Le réchauffement de Paris ne démontre pas un réchauffement global, pas plus que la chute des températures constatée lorsqu’on remplace les relevés du parc Montsouris par ceux d’Orly ne corresponde à un refroidissement.
Que vaut alors l’analogie entre la serre et l’atmosphère terrestre ? Il faut, pour le comprendre, se souvenir de quelques données de base sur la structure verticale de cette atmosphère. Celle-ci est surtout chauffée par le bas, là où le rayonnement solaire est absorbé. De plus, la couche inférieure, qui va de la surface à une dizaine de kilomètres d’altitude, est le siège d’un brassage de masses d’air permanent lié d’une part aux inégalités de ce chauffage, d’autre part à la force d’Archimède qui permet la convection. Cette région est donc appelée troposphère, du mot grec tropos qui signifie tourbillon. La température y décroît avec l’altitude, de 5 à 10°C par kilomètre jusqu’à un niveau qui est appelé la tropopause: littéralement, c’est le niveau où cessent les tourbillons. L’altitude de ce niveau dépend grosso modo – de l’intensité du chauffage de cette » marmite « , donc de la latitude et de la saison. A l’équateur, la tropopause s’élève à 16 ou 17 km, et sa température est très basse (jusqu’à 90°C) ; aux pôles, au contraire, elle ne s’élève guère au-dessus de 8 kilomètres. De même, à nos latitudes, elle est plus haute en été et lus basse en hiver. Au-dessus, c’est la stratosphère ; la température, d’abord constante, y augmente avec l’altitude, jusqu’à un maximum voisin de 0°C à la stratopause, à une cinquantaine de kilomètres du sol. Ces couches sont chauffées par le haut par l’absorption du rayonnement ultraviolet solaire. Cette stratification, avec une température qui augmente vers le haut, est relativement stable. On y mesure peu de mouvements verticaux.
Les limites de l’analogie ainsi fixées, il faut encore ajouter quelques précisions pour comprendre non seulement la difficulté qu’ont à affronter les scientifiques, mais pour apprécier la mesure réelle du danger que les hommes politiques ont à faire entrer dans leurs calculs pour leurs décisions. On sait que l’atmosphère terrestre est constituée de gaz: essentiellement d’azote (78 %) et d’oxygène (21 %). Or, ces deux gaz constitués de molécules diatomiques symétriques N, et 0, n’interférent pas avec l’infrarouge, du fait de leur structure très simple. En revanche, toutes les molécules polyatomiques, comme le gaz carbonique (CO2), l’eau (H2O), l’ozone (02), le méthane (CH4), ont des modes de vibration et de rotation qui font qu’elles absorbent bien cet infrarouge. Si l’on examine le spectre du rayonnement émis par la Terre vers l’espace, on constate qu’une partie en est bloquée par ces molécules. Et si nous regardons vers le haut, depuis la surface de la Terre, nous observons dans cette partie du spectre un important rayonnement descendant, émis par ces molécules atmosphériques; ce qui fait que les astronomes ne peuvent observer ces longueurs d’ondes depuis le sol. L’équilibre climatique que nous connaissons dépend donc au premier chef de l’ » effet de serre » dû à la vapeur d’eau et au gaz carbonique, constituants vitaux quoique fortement minoritaires (bien moins que 1 %) de l’atmosphère naturelle. La température à la surface de la Terre peut être maintenue à un niveau confortable – environ 15°C -,justement parce que les 390 watts par mètre carré qui sont alors émis par le sol vers le haut sont en partie compensés par quelque 300 watts par mètre carré rayonnés par l’atmosphère vers le bas, dans l’infrarouge.
On constate aussi qu’il existe une » fenêtre » aux longueurs d’ondes allant de 8 à 13 micromètres, où le rayonnement infrarouge sortant n’est pas bloqué. C’est par cette fenêtre que les astronomes peuvent étudier des objets qu’ils appellent » froids » (moins de 1 500 K) et qui rayonnent dans l’infrarouge. C’est aussi à travers elle que s’évade vers l’espace la majeure partie de l’énergie rayonnée par la Terre, permettant ainsi d’arriver à un certain équilibre. Lorsqu’on ajoute à l’atmosphère un peu plus de gaz carbonique, on ferme un peu plus la fenêtre. Lorsqu’on -ajoute certains constituants mineurs – le méthane, les CFC, des oxydes d’azote – c’est comme si on mettait des volets là où il n’y en avait pas. Les changements de la composition de l’atmosphère qui se déroulent actuellement doivent donc accroître l’effet de serre, c’est-à-dire intensifier le piégeage d’énergie et augmenter la température dans les basses couches de l’atmosphère et à la surface. Cette intensification de l’effet de serre doit conduire à un réchauffement global. De toute évidence, nous vivons à l’heure actuelle une phase de transition vers un nouveau climat, avec des températures plus élevées à la surface du globe.
L’effet de serre, ainsi décrit schématiquement, est-il propre à la Terre ? Non, on le sait depuis longtemps: cet effet est commun à toutes les atmosphères planétaires, lesquelles comportent toutes des constituants polyatomiques. Le cas est particulièrement net avec l’atmosphère de Vénus, très riche en gaz carbonique et dont la température à la surface s’élève à plusieurs centaines de degrés: un enfer qui exclut toute forme de vie ! Us sondes soviétiques des années 1980 ont confirmé et précisé ce que l’on avait déduit des mesures faites à partir du sol. Cependant, deux éléments propres à l’atmosphère terrestre doivent entrer en ligne de compte si l’on veut prendre la mesure de la complexité du phénomène. Le premier tient à l’existence sur la » planète bleue » d’une masse océanique considérable qui échange de la chaleur et de la matière avec l’atmosphère, notamment sous forme de vapeur d’eau, si bien que les changements de températures entraînent nécessairement des modifications dans le cycle hydrologique. Et ces changements s’avèrent à bien des égards plus importants que les changements de température que l’on peut attribuer directement à l’enrichissement de l’atmosphère en gaz carbonique (et méthane, CFC, etc.).
Il s’agit ici de ce que l’on appelle les » rétroactions » : si l’on considère la perturbation imposée par l’homme (par exemple l’enrichissement en CO2 qui intensifie l’effet de serre) ou par la nature (p.e. une variation du Soleil) comme une cause de changement (un forçage dans le jargon des spécialistes), la rétroaction est un effet qui à son tour agit comme une cause, amplifiant (rétroaction positive) ou restreignant (rétroaction négative) la réponse au forçage initial. Ainsi la première rétroaction négative, facteur de stabilité, est celle du rayonnement: lorsque la surface et l’atmosphère se réchauffent, elles tendent à rayonner davantage dans l’infrarouge, ce qui limite l’augmentation de la température. Cependant, il existe aussi des rétroactions positives, augmentant la sensibilité du climat au forçage initial. Par exemple, si l’on commence à faire monter la température à la surface, on intensifie l’évaporation ; si la température atmosphérique commence à monter, l’atmosphère pourra contenir davantage de vapeur d’eau. La plupart des spécialistes pensent donc que la quantité de vapeur d’eau dans l’atmosphère augmentera effectivement. Mais la molécule H2O absorbe sur une grande partie du spectre infrarouge, et surtout à des longueurs d’onde qui vont de 5 à 8 micromètres et de 16 à 50 micromètres, alors que le C02 absorbe surtout dans une bande étroite, autour de 15 micromètres. Il se produit alors une intensification accrue de l’effet de serre due à l’humidification supplémentaire de l’atmosphère. Dans les calculs qui prédisent un réchauffement de 2 à 4°C pour un doublement de la quantité de gaz carbonique, une grande partie de ce réchauffement doit en fait être attribuée à cette rétroaction » vapeur d’eau « .
Il est cependant simpliste d’invoquer la rétroaction de la vapeur d’eau sans considérer le deuxième élément propre à l’atmosphère terrestre, peut-être plus décisif encore, l’existence des nuages. Certes, les nuages ne manquent pas sur d’autres planètes ; mais il n’y a que sur la Terre qu’ils jouent un rôle à la fois important (bien plus que sur Mars, où ils sont rares) et variable, puisqu’ils ne couvrent pas la totalité de la planète (comme c’est le cas sur Vénus) mais seulement entre la moitié et les deux tiers de sa surface. Les nuages réfléchissent en effet assez bien la lumière solaire. On pense donc d’habitude que si l’on augmente la nébulosité, on refroidit du même coup la surface de la Terre; et c’est souvent bien le cas. Mais en même temps, les nuages bloquent aussi le rayonnement infrarouge. On sait qu’une nuit sans nuages peut être extrêmement fraîche; une nuit nuageuse, très douce. Dans nos régions, pendant les nuits d’hiver, c’est l’action essentielle des nuages dans le bilan radiatif ; dans la nuit polaire, c’est leur fonction exclusive. Voilà donc un phénomène capital pour la détermination et l’évolution des climats, qui vient perturber le schéma simple du nuage bloquant le Soleil et refroidissant la Terre. Or l’étude de la nébulosité n’en est encore qu’à ses commencements, surtout si l’on veut connaître son rôle à l’échelle du globe. Aristote a dû échafauder une théorie bien laborieuse pour tenter d’expliquer la formation des nuages, pourtant liés à l’eau, à proximité de ce qu’il supposait être la sphère chaude de l’élément » feu « . Mais, même à la veille de la Seconde Guerre mondiale, on était encore loin de comprendre dans le détail dans quelles conditions la vapeur d’eau gazeuse dans l’atmosphère pouvait se condenser en gouttelettes d’eau liquide ou en cristaux de glace. La formation, la dissipation des nuages, leurs interventions dans les flux de rayonnement font apparaître des processus d’une très grande complexité. Le pouvoir réfléchissant des nuages – leur albédo -dépend de leur épaisseur, du nombre et de la taille des gouttelettes ou des cristaux dont ils sont composés, et éventuellement de leur contenu en polluants de diverses sortes. Leur effet de serre, en ce qui concerne la planète dans son ensemble, dépend surtout – en plus de ces paramètres – de leur répartition en altitude.
Les nuages élevés, les cirrus et cumulonimbus, aux sommets très froids et proches de la tropopause, rayonnent peu dans l’infrarouge ; leur effet de serre est donc puissant, puisqu’ils empêchent l’infrarouge émis par les surfaces plus chaudes en bas de s’échapper vers l’espace. Les nuages bas, en revanche, émettent presque autant d’infrarouge que les surfaces qu’ils couvrent, ce qui fait qu’ils ont un effet de serre faible à l’échelle planétaire. Ces nuages et notamment les champs étendus de stratus et strato-cumulus au-dessus des océans -jouent essentiellement un rôle de refroidissement, puisqu’ils réfléchissent la majeure partie du rayonnement solaire, empêchant ainsi son absorption à la surface de la mer. Pour les cumulonimbus, qui réfléchissent fort bien la lumière solaire, les deux effets se compensent à peu près. Les cirrus, souvent très fins, laissent passer davantage de lumière solaire, et c’est généralement l’effet de serre, donc l’effet de réchauffement, qui domine. Cependant, s’ils s’épaississent, leur réflexion du rayonnement solaire pourrait bien devenir dominant, et pour V. Ramanathan et William Collins de l’université de Californie à San Diego, les cirrus des tropiques agiraient comme une sorte de thermostat, limitant l’augmentation des températures à la surface de la mer. Encore faut-il démontrer – point fortement contesté par d’autres chercheurs – qu’à une augmentation de la température de la mer va nécessairement correspondre un renforcement des cirrus. De toute façon, pour bien évaluer cet effet, s’il existe, il faudrait pouvoir calculer de façon précise comment les cirrus réfléchissent la lumière solaire, en fonction des tailles et des formes des cristaux de glace qui les composent. jusqu’à une date récente, on ne prenait pas en compte dans ces calculs le fait que ces cristaux ne sont point sphériques, mais plutôt des assemblages de section hexagonale. Ce n’est d’ailleurs qu’avec de telles particules non sphériques que l’on peut comprendre des phénomènes atmosphériques comme les halos ou l’arc circonzénithal.
Selon le lieu et l’heure d’apparition d’un nuage, selon ses propriétés physiques, il contribuera plus ou moins fortement, et à la réflexion du rayonnement solaire, et à l’effet de serre. Il est fort délicat d’évaluer correctement le bilan de ces deux influences contradictoires de la nébulosité sur le climat tel qu’il est aujourd’hui. Si en plus le climat se met à changer, avec un réchauffement à la surface de la Terre, quels seront les changements concernant la nébulosité ? Quel rôles jouent les aérosols, notamment les aérosols soufrés qui résultent – en même temps que le CO2 – de la combustion de carburants fossiles ? Comment savoir si ces modifications vont renforcer ou affaiblir la tendance initiale ? Il faut en outre savoir s’il y aura, ici ou là, plus ou moins de nuages bas, plus ou moins de nuages élevés… C’est à peine si nous disposons de quelques éléments de réponses à ces questions, grâce à la vision globale que nous pouvons maintenant avoir par satellite et aux simulations numériques que permettent les grands ordinateurs.
Robert KANDEL