L’ouest balayé par un ouragan dévastateur – 1987
La tempête de Bretagne en 1987
La nuit du 15 au 16 octobre 1987 des vents hurlant à 220 km/h sur la Bretagne et le Cotentin
La tempête d’octobre 1987 reste dans les mémoires bretonnes comme l’une des plus terribles. Elle fut curieusement peu évoquée par la presse nationale, du moins dans un premier temps. Dans toute la région, les vitesses maximales connues sont dépassées (J. Mounier, 1988). À Ouessant, les rafales culminent à 187 km/h; à Lorient, elles atteignent 166 km/h, 176 km/h à Saint-Brieuc. Des vents violents affectent la pointe du Raz (220-230 km/h, vitesse estimée par la Météorologie) et la côte occidentale de la Manche (216 km/h, qui constitue l’enregistrement le plus élevé dans cette région). Cette tempête est alors considérée comme la plus violente survenue en France depuis la création des stations météo. Elle sera presque égalée par celle de l’hiver 1990 (vents de 140 km/h à Brest et 155 km/h à Quimper). Outre Manche, les vents sont aussi violents sinon plus. Les études statistiques britanniques estiment qu’une tempête d’une telle violence ne se produit en moyenne que tous les deux cents ans.
En France, le bilan humain est faible (deux morts et une cinquante de blessés), grâce notamment aux prévisions météorologiques 1 et la mise en état de pré alerte des organismes de secours, mais aussi du fait de l’adaptation des populations de la région à ce type de risque. Paradoxalement, le nombre de morts et de blessés fut plus important au cours des journées qui suivirent la catastrophe (respectivement neuf et soixante), en raison des accidents de tronçonnage en forêt et aux chutes de toitures. Les dommages à l’agriculture se situent autour de 900 millions de francs. En Bretagne, le volume de bois cassés ou déracinés atteint 7,5 millions de m’: le cinquième de la forêt bretonne est partiellement ou totalement détruit. Les dommages aux équipements publics (Télécommunications, EDF, réseau routier, ports) avoisinent 600 millions de francs et ceux aux biens particuliers dépassent les 3 milliards (montant des seules indemnisations). Le coût total dépasse probablement les 6milliards de francs.
DANS LES COULOIRS DU CATACLYSME
Au port de plaisance de Concarneau une centaine de voiliers, ayant brisé leurs amarres, vont s’enchevêtrer dans des entrelacs de mâts au pied des remparts de la Ville close. Cinq cents bateaux endommagés dans le golfe du Morbihan. À Cherbourg douze bateaux coulés, mais pas un seul indemne des sept cents bateaux de Port-Chantereyne, détruit à 90 %. Au total entre les ports de plaisance, sept kilomètres de pontons disloqués, rendant indisponibles quelque trois mille deux cents places de plaisanciers. Et l’outil travail détruit pour de nombreux pêcheurs : quatre chalutiers brisés à Guilvinec, douze coulés à Saint-Cast, d’autres envasés à Loctudy, Morlaix, Paimpol, Erquy, Saint-Malo, Granville, partout. En tout trente et un côtiers détruits et deux cents endommagés. Mais pas de naufrage, à part celui d’une plaisancière dont le bateau rentrera vide au port des Sables-d’Olonne, tel un vaisseau fantôme, mât brisé. Et celui de deux cents goélands argentés jetés à la côte le long de la baie d’Audierne, qui ont été aspirés par les rouleaux et étouffés.
l’intérieur des terres, du fait de la torsion des vents, l’ouragan ne mollit pas et les arbres centenaires, qui en ont vu d’autres, comme les quinquagénaires géants en pleine force, s’arc-boutent. Geignant d’impuissance dans les couloirs du cataclysme, ils se couchent vaincus, dans un craquement que couvrent les vents hurleurs. Quimper perd ses belles allées de platanes de Locmaria, aucun de ses trois mille cinq cents arbres d’alignement n’est 7ar5ne et surtout son superbe Mont-Frugy, une hêtraie massive six hectares, devient chauve. Adieu les centenaires d’Avranches et les exotiques de Cherbourg et le cèdre du jardin des plantes de Carentan né quarante ans avant la Révolution! Sans faiblir l’ouragan, comme une grossière tronçonneuse, met en pièces, hachant, déchirant, étêtant, cinquante mille hectares de la forêt bretonne et coupe les routes à coups d’arbres abattus. Malheur aux automobilistes et aux camionneurs surpris ! Un arbre qui s’abat juste devant le capot, le temps de piler et… « ça a été comme un bombardement, racontera Joël, un routier breton surpris en Finistère intérieur avec son camion de légumes roulant vers Quimper. En une demi-heure une soixantaine d’arbres se sont effondrés sur la route. Le bruit était dingue. Ça tombait comme à Verdun. Finalement j’ai réussi à sortir de ma cabine et à me réfugier sous le châssis. Autrement j’étais cuit. »
Les plus forts coup de vent enregistrés au cours de la tempête d’octobre 1987:
( Vitesses exprimées en km/h)
« ON N’A PLUS D’ÉGLISE ! »
Un arbre devant au travers de la route, un arbre aussitôt derrière, que faire ? Impossible de fuir pour cette Morbihannaise de Plumelec, qui court accoucher à Vannes. Même en slalomant entre fossés et branchages au risque de s’embourber, la voiture est bloquée à quinze kilomètre du but. Le futur papa doit partir sportivement à pied. Il rencontre de providentiels pompiers tronçonneurs qui leur ouvrent un local EDF… sans courant, mais ils braquent leur projecteur vers l’intérieur, puis ils mettent de l’eau à chauffer. Des internes du SAMU parviennent jusqu’à eux. C’est leur premier accouchement. Bébé est très bien venu en ce monde tourmenté à 3 h 55. Ses parents ni ses parrains, les pompiers de Grand-Champ, n’osent le nommer Éole mais Antoine. Au pays on l’appelle « le fils du vent ». Ils sont ainsi quatre enfants nés où ils ont pu cette nuit-là, comme Fabrice dont la voiture maternelle a dû s’arrêter brutalement en… Calan au lieu-dit « Les quatre-vents » ! Du vent fou ! Les poteaux électriques et les feux de signalisation se brisent, les panneaux routiers et publicitaires se jettent à plat ventre, les pylônes électriques et Ic ais hertziens mettent ferraille à terre, les caravanes se couchent, le mais S’allonge, antennes, tribunes et toitures d’écoles décollent. De Concarneau à Cherbourg HLM, usines et entrepôts, porcheries et poulaillers se décoiffent, des hangars se déplacent, les serres en plastique se déchirent, les serres en verre explosent. Des hôpitaux mis à nu, des marchés couverts à ciel ouvert. Des clochers s’ébranlent, des murs s’écroulent, même les croix des cimetières entrent dans une danse macabre. On croit à la fin du monde.
Et, dans cette folle sarabande où l’homme se sent dépassé, des histoires d’entraide, de gens relogés, de courage et d’audace pour dégager les routes alors que les arbres continuent de tomber comme des quilles. Et des drames. Comme celui de Raymond, employé communal tué par un arbre en dégageant la voie à Melgven, prés de Concarneau. Melgven dont le clocher décapité emporte avec lui une partie de a toiture de l’église. Comme à Plerguer, près de Saint-Malo, dont la flèche transperce la voûte: « On n’a plus d’église ! » crie dans la nuit en direct la femme du chef des pompiers, pétrifiée. Comme à Ploëder, ou’ un bloc de deux cents kilos se détache du clocher pour transpercer toit et tribune. Le clocher de Pont-Croix, la flèche de Goudelin, tant de coqs, de clochetons, de calvaires ou de chapelles rabattus. La cathédrale de Bayeux, l’église de la Trinité de Cherbourg, cinq Siècles d’âge, celle de Pleurtuit toutes décoiffées, la toiture l’abaye du Mont-Saint-Michel meurtrie, l’ église de Concarneau si ébranlée ,qu’on doit la fermer à jamais. A Caen un clocheton de l’église Saint-Etienne écrase cinq voitures, des pierres de soixante kilos tombent de l’église de Carhaix, la toiture de l’église de Pontaubault s’abat sur le cimetière…
UNE VACHE VOLANTE, UNE PANTHÈRE FUYANTE
« Ceux qui n’ont pas vu ne peuvent imaginer! » C’est vrai. Ni croire à des histoires extraordinaires de ce moment de folie. À Saint-Brieuc un vieux Dakota joue les filles de l’air tout seul et survole la route pour atterrir sur un parking de la chambre de commerce. À Vitré un jeune agriculteur ne retrouve pas son étable à sylace, près de la maison. Les vaches, folles, errent dans la cour. Sauf une qui a été catapultée avec la char ente à trente-cinq mètres, au-delà d’une haie de sapins, dans le champ du voisin. Six cent trente kilos volants ! Les huîtres à l’ouest du Cotentin se sont fait la malle, même les rochers ont bougé, ils sont comme râpés et ont perdu leur chevelure de varech. Au bout de la pointe de la Hague, Philippe est réveillé chez lui par un paquet d’algues en pleine figure. Dans le champ, à côté de sa maison sans toit, une arque a volé sur quarante mètres pour se mettre au sec. À Saint-Caradec des pierres tombent dans la chambre des enfants. Au Haut-Corlay Léontine, 88 ans, alertée par le vacarme, découvre qu’elle dort dans une maison sans toit, mais se recouche pour ne réveiller personne du voisinage. Au zoo de Pont-Scorff en ruines, « Tensing », la panthère des neiges, ne dérange non plus personne pour prendre la clé des champs. Comme douze mille visons à Brech, auxquels le vent a ouvert la porte vers la liberté.
Traumatisante pour ceux qui viennent de la vivre, cette nuit d’enfer n’a curieusement pas empêché tout le monde de dormir et on imagine le choc de ceux qui se réveillent innocemment, à la chandelle, après un tel séisme. De Brest à Deauville, 1250 000 abonnés sont privés d’électricité. Trente-six mille lignes téléphoniques sont endommagées. Sans courant, sans eau, parfois isolés pendant plusieurs jours, les élevages sont paralysés : poulaillers et porcheries privés d’aération, de lumière et de chauffage, impossibles traite automatique et conservation du lait, qui se perd par dizaine de milliers de litres, tournesol et mais affalés (quatre vingt mille hectares atomisés pour le seul Finistère et autant pour les Côtes-d’Armor), bêtes mortes ou stressées à mort par milliers, bâtiments emportés… Sérieusement sinistrées l’agriculture et l’horticulture bretonnes et normandes (adieu les choux-fleurs, 1600 000 pommiers déracinés en Basse-Normandie !), ainsi que l’ostréiculture de l’Ouest-Cotentin (1 500 tonnes d’huîtres détruites chez deux cents conchyliculteurs). À lui seul Groupama Bretagne aura à traiter 85 600 sinistres, soit dix fois plus que pour une forte tempête.
Pour faire face EDF comme les Télécommunications déclencheront des plans ORSEC maison. Ainsi, avec le renfort d’agents accourus de toute la France et de compagnies privées, EDF déploiera-t-elle trois mille sept cents techniciens. Qui, se démenant d’abord pour rétablir d’urgence les lignes de haute tension, travailleront nuit et jour pour abréger l’insupportable période. Une tâche à la mesure du désastre : douze mille poteaux électriques brisés et vingt-six mille kilomètres de lignes rompues ou endommagées rien que pour le Finistère et le Morbihan, les Télécoms se démenant parallèlement avec leurs trente-six mille lignes emmêlées dans les branches. Dix millions d’arbres, six millions de mètres cubes de forêt publique et privée, et pas seulement du chablis dont la récolte est multipliée par trente, sont détruits en Bretagne, soit 20 % de la surface boisée, nettement moins importante (9 %) que la moyenne nationale (25 %). Trente mille hectares sinistrés à des degrés divers sur soixante-quatre mille hectares de forêts pour le seul département des Côtes-d’Armor. Au bout du compte, le quart de la forêt bretonne détruite. Et près d’une vingtaine d’années de nettoyage des rivières perdues.
AU HIT-PARADE DES OURAGANS
Les six départements sont classés en état de catastrophe naturelle. La tempête dans tout ce coin d’Europe coûtera 23 milliards de francs aux assurances. Cependant à l’ouest de la France nombre de dossiers traîneront très longtemps, défendus par le « collectif de coordination et de défense des sinistrés bretons de l’ouragan », regroupant cent soixante associations locales ou régionales et les conseils généraux du Finistère et des Côtes-d’Armor. Lequel, ayant évalué au départ les dégâts trois fois et demie lus que l’État, estimera au bout de dix ans qu’il manque 20 milliards de francs. L’ouragan est considéré comme l’un des six sinistres les plus chers au monde depuis 1970, après l’ouragan Andrew aux États-Unis (1992), le séisme de Northridge en Californie (1994), le cyclone Mireille au Japon (1991), la tempête de l’hiver 1990 en Europe, l’ouragan Hugo à Porto Rico (1989).
Malgré son émiettement géographique, la catastrophe, avec ses de cataclysme économique, écologique et environnemental, culturel et psychologique, est restituée au plus près par la presse locale et régionale. Occultée en revanche par les médias nationaux, qui passent totalement à côté de l’événement, apparemment absorbés ce jour-là par un krach boursier à New York et, peut-être aussi, la chute d’une grue au chantier de la Grande Arche de la Défense. À Paris ! Constatant dans un billet aux allures de rattrapage que l’Ouest a eu beaucoup de dommages et peu d’intérêt, un confrère parisien écrira: « Durs à la peine, plus avares de leurs paroles que de leur effort, les Bretons n’ont pas été seulement atteints Jans leurs biens, mais humiliés blessés dans leur affectivité, dans leur sentiment d’appartenance à la communauté nationale, ils ont pu penser qu’ils étaient mal aimés. » Ce qu’un ministre breton avait joliment appelé « un déficit d’émotion nationale ». Une plaie qui mettra du temps à se cicatriser que la blessure meurtrière infligée à la forêt.
Afin qu’au moins à quelque chose malheur soit bon, les Bretons particulièrement voudront positiver. En enterrant près de deux mille kilomètres de lignes téléphoniques en deux ans. En repensant la politique de leur forêt, dont ils ont réalisé la grande fragilité. En variant les espèces et modernisant la filière ois, quatrième secteur industriel de la région. En rénovant des monuments paysagers à l’image du fameux Mont-Frugy à Quimper, aujourd’hui plus aéré, plus coloré en un fouillis romantique. En consolidant les historiques monuments de pierre. En protégeant mieux leurs ports de plaisance, comme à Concarneau aux installations renforcées. En appréciant aussi à son juste prix le faible nombre de victimes par rapport à la violence du phénomène: deux morts directes, une dizaine indirectes dans la semaine qui a suivi, une soixantaine de blessés. Si le coup de bélier était advenu en plein jour, comme initialement prévu, avec tous les objets volants assassins l’effet eût été désastreux sur les personnes. Surtout la « marée de tempête », qui a fait hausser le niveau de la mer d’un mètre cinquante à trois mètres, est-elle survenue par morte-eau, alors qu en vive-eau elle eût submergé la côte. Comme cette tempête provoquée par un ancien cyclone tropical sur le sud de l’Angleterre ces 7 et 8 décembre 1703, qui emporta un phare et ses constructeurs, rasa 1 107 bâtiments, coulant des centaines de bateaux dont une partie de la flotte de guerre jusque sur la Tamise. Et faisant huit mille morts.
Extrait de : Trente catastrophes dans l’Ouest d’Alain CABON aux Éditions OUEST-FRANCE