Le
risque de tempêtes en FRANCE
Quand passent les tempêtes La
France est un pays au climat tempéré... Terme trompeur, qui tend à faire
prendre les valeurs moyennes du climat (températures, précipitations,
vent) pour des situations habituelles, et les écarts à ces moyennes comme
des situations exceptionnelles. Or le climat, et notamment le climat dit tempéré,
est essentiellement fait d'écarts à la moyenne. Certains de ces écarts
constituent néanmoins des paroxysmes rares ou exceptionnels. Certes, les cyclones, générateurs des vents les plus destructeurs du globe, sont inconnus sous nos latitudes. Mais des tempêtes violentes se produisent régulièrement sur le nord de l'Europe, écornant au passage le nord et le nord-ouest de la France. Le préjudice économique causé par ces grandes tempêtes est en général élevé en raison de l'étendue géographique des zones touchées, des fortes concentrations de population et de l'industrialisation des régions concernées. L'industrie des assurances est d'ailleurs plus souvent et plus fortement affectée par les tempêtes que par d'autres catastrophes naturelles, car la couverture des dommages causés par ces phénomènes est beaucoup plus répandue que celle des autres éléments naturels. Non seulement l'impact économique des tempêtes est, en Europe du Nord et de l'Ouest, très lourd, mais encore le bilan humain est probablement équivalent à celui des inondations.
Ainsi
la série de tempêtes qui toucha l'Europe de janvier à mars 1990 entraîna,
pour l'ensemble des pays touchés, la mort de 240 personnes et 10,1 milliards
de dollars de dégâts indemnisés. Du 26 janvier au 27 février, cinq tempêtes
ont frappé l'Europe et notamment la France. La première de cette série
provoqua sur le territoire la milliards de francs de dégâts assurés. Celle
du 3 et 4 février est considérée comme une des plus violentes tempêtes
connues dans le nord-ouest de notre pays. La dépression a d'abord balayé la
Bretagne et le Cotentin avant de passer sur Île-de-France et le
nord du pays, puis de s'éloigner vers les Pays-Bas. Les pointes de vent
enregistrées à Cherbourg, dans le Cotentin (167 km/h), ou à Belle-Île,
dans le Morbihan (162 km/h), quoique spectaculaires, ne constituent pas des
records dans ces régions, où l'on a déjà relevé des vents de plus de 200
km/h. Beaucoup plus exceptionnelle est la violence atteinte par la tempête en
Île-de-France, région habituellement située à l'écart de ce
genre de phénomène. on a ainsi relevé un vent de 115 km/h en plein Paris
(Observatoire du parc Montsouris), un vent de 147 km/h à l'aéroport de
Roissy. Les services de Météo France avaient prévu dès le 1er février qu'une tempête se préparait pour la journée du 3. La procédure d'alarme face à un phénomène dangereux a été déclenchée le 2 à 16 h 30. La trajectoire du phénomène était établie vingt-quatre heures à l'avance. Mais sa violence avait été sensiblement sous-estimée. La
méconnaissance du danger explique sans doute que la majorité des victimes se
situe dans la région parisienne. Beaucoup de gens ont trouvé la mort dans
leur voiture, écrasée par la chute d'un arbre. Au total, il y eut
vingt-trois victimes et plusieurs dizaines de blessés graves. Deux millions
de personnes furent privées d'électricité. Dans la seule capitale, les
sapeurs-pompiers ont effectué plus de huit mille sorties. À
Villeneuve-Saint-Georges, la verrière d'une piscine a explosé sous l'effet
du vent, ne faisant que des blessés. Les dommages les plus impressionnants
furent enregistrés sur les bâtiments historiques et les arbres de la région
parisienne. À Chartres, où le vent soufflait à plus de 150 km/h, une partie
de la toiture de la cathédrale fut emportée. Le clocher de l'église de
Ronfeugerai, dans l'Orne, s'est écroulé dans le chœur; celui de l'église
de Volleromain, dans le Loir-et-Cher, haut de 12 mètres et datant
du XVIeme fut lui aussi jeté à bas. Cette
tempête fut suivie d'une plus modeste les 7 et 8 février, puis une autre
balaya la Bretagne du 11 au 13, faisant d'importants dégâts dans le Finistère
et le Morbihan. Une nouvelle tempête particulièrement violente sévit à
nouveau du 26 février au l' mars. On compta en France 19 morts ou portés
disparus, 65 dans le reste de l'Europe. Dans plusieurs villes côtières du
Nord-ouest, les effets du vent se sont combinés à ceux d'une mer de grande
marée pour provoquer de très sérieux dommages. L'intérieur des terres ne
fut pas épargné: à Strasbourg, le vent soufflait à 130 km/h. Le trafic
ferroviaire et aérien fut perturbé. Les vents violents touchèrent également
la montagne, notamment en Savoie, puis la tempête se poursuivit le 1"
mars sur la Méditerranée (140 km/h dans l'arrière-pays niçois; au cap
Corse, une vitesse de vent instantanée de 202 km/h fut mesurée). Une
série de tempêtes aussi violentes est peu fréquente. Ce qui est encore plus
rare, c'est que les vents affectent une superficie aussi vaste que l'Europe
occidentale, et donc l'intérieur des terres, et des latitudes méridionales'
pour le moins inhabituelles.
La France ne
manque pas d'air D'une
façon générale, les vents sont liés à des inégalités spatiales des
champs de température et de pression de l'atmosphère terrestre. À l'échelle
planétaire, ces inégalités sont liées au différentiel d'apports d'énergie
solaire: les courants atmosphériques tendent à compenser l'excès d'énergie
reçu dans la zone intertropicale et le déficit d'énergie reçue dans les
zones polaires, et ainsi à homogénéiser les températures à la surface de
la Terre. Très schématiquement, les masses d'air ‑dont les caractères
thermiques, hygrométriques, etc., dépendent des conditions dans lesquelles
elles se sont formées ‑tendent à migrer vers le nord pour les masses
les plus chaudes et vers le sud pour les plus froides. Ce faisant, elles
transfèrent l'énergie qu'elles contiennent sous forme de chaleur sensible ou
latente (liée à la vapeur d'eau). Aux
latitudes moyennes, deux grands types de masses d'air aux caractères hygrométriques
contrastés rentrent en contact: d'une part, l'air polaire plutôt froid;
d'autre p art, l'air tropical plutôt chaud. La ligne de contact entre ces
deux types de masses d'air, appelée le front polaire, est le siège de
nombreuses manifestations atmosphériques. L'air chaud, plus léger et plus
rapide, tend à surmonter l'air froid, plus lourd: c'est de ce processus que
naissent les ondulations du front polaire. Si ces ondulations s'accentuent,
elles forment les dépressions qui jalonnent le front polaire: à la latitude
de 351 à 70° nord, selon la saison, elles se dirigent vers l'ouest. Dans nos
régions, les vents les plus forts sont le plus souvent associés aux dépressions. Une
dépression est formée d'un minimum dépressionnaire, qualifié par un niveau
barométrique. Il lui est associé un front chaud suivi d'un front froid qui
individualisent le secteur chaud. Le front froid étant plus rapide que le
second, l'air chaud est progressivement expulsé en altitude. Les précipitations
sont surtout importantes au niveau des lignes de front tandis que les vents,
qui tendent à combler le minimum dépressionnaire mais sont ‑déviés
par la force de Coriolis, soufflent autour d'elle dans le sens inverse des
aiguilles d'une montre. C'est au centre de la dépression, là où les
gradients de température et de pression sont les plus marqués, que les vents
sont les plus forts: en 1987, la Bretagne et la Basse‑Normandie étaient
situées sur la trajectoire de la dépression. Les
dépressions ont un diamètre de 1000 à 2 000 km; leur vitesse de déplacement
le long du front polaire peut atteindre 50 km/h, mais certaines peuvent rester
stationnaires plusieurs jours. Elles ont une durée de vie de l'ordre de trois
à cinq jours : lorsqu'elles atteignent le continent, si la dépression se
comble, les vents s'affaiblissent. Toutefois, une dépression peut être réactivée
par un apport d'air allogène: c'est ce qui s'est passé en février 1990 lorsque le courant perturbé a été ré alimenté par un fort
afflux d'air froid provenant du Groenland. La dépression s'est régénérée
à proximité des côtes. C'est
surtout à l'occasion des oscillations du front polaire que se forment les
tempêtes observées en France 1. Elles sont plus fréquentes et plus intenses
à la fin de l'automne et en hiver, lorsque les contrastes thermiques sont
marqués: à cette époque, les océans sont encore chauds et l'air polaire
est déjà froid. Car la température de l'océan est déterminante: s'il est
chaud, il peut réactiver la dépression. C'est ce qui s'est produit lors de
la tempête qui a touché l'Europe occidentale en cours de l'hiver 1990: la température de surface de l'océan était plus chaude que
les autres années en raison d'un été exceptionnellement doux et prolongé. 1.
Météorologiquement, la tempête est le centre actif d'une dépression auquel
sont associés coup de vent et précipitations. Sur l'échelle de Beaufort,
une tempête correspond à des vents dont la vitesse est comprise entre 89 et
102 km/h. Mais il existe des variantes à ce processus schématiquement décrit. Par exemple, la tempête de Bretagne en 1987 est originale et ne correspond pas au modèle habituel de formation des tempêtes en Europe (J. Mounier, 1988). Cette dépression extra tropicale n'est certes pas un cyclone mais elle présente des aspects dynamiques voisins. Un double apport d'air chaud et humide, en provenance du Pacifique et des Caraïbes, a provoqué une accélération des courants atmosphériques d'ouest, engendrant à son tour l'apparition d'ondulations du front polaire. Mais la dépression responsable de l'ouragan n'est pas née ‑contrairement au modèle classique d'une de ces ondulations, mais à la limite des deux poussées d'air d'origine tropicale, de températures et de vitesses sensiblement différentes. Certaines tempêtes touchant le territoire français proviennent de la transformation d'un cyclone tropical en dépression des latitudes moyennes. Tel fut le cas de la très forte tempête qui a balayé le nord de l'Espagne et le sud-ouest de la France en octobre 1984 (Y. Rebeyrol, 1990). Celle‑ci est née du cyclone Hortense qui, après avoir frôlé les Bermudes, est venu rejoindre la circulation générale ouest‑est au-dessus de l'Atlantique mais en restant une masse d'air chaud. En rencontrant une masse d'air polaire venue du Groenland, le contraste des températures a provoqué une très forte chute de pression en son centre, qui a' atteint 974 millibars sur le golfe de Gascogne, valeur exceptionnellement basse pour une dépression de zone tempérée. Sur le bassin d'Arcachon, les vents ont atteint une vitesse moyenne de 120 km/h. Par ailleurs, d'autres phénomènes peuvent produire des vents importants: c'est le cas des brises littorales, qui naissent de différences thermiques dans les basses couches de l'atmosphère. Ce gradient résulte des réchauffements et refroidissements différenciés des diverses. Surfaces (terre, eau, prairie, forêts, villes ... ). L'effet de ces brises marines arrive à se faire sentir jusqu'à plusieurs centaines de kilomètres des côtes : elles sont redoutées des marins, tandis que les brises de montagne peuvent détruire les cultures à cause des effets thermiques qui leur sont associés.
Forêts et tempêtes En
retraçant l'histoire des grandes tempêtes dans les forêts d'Europe
occidentale, le géographe D. Doll montre que leur répartition dans le temps
est très irrégulière. À l'échelle du siècle, des séquences rapprochées
de forts coups de vent et de grands chablis ' contrastent avec les décennies de
calme relatif (D. Doll, 1991). L'ensemble
des tempêtes de février 1990 a provoqué dans les parcs de la région
parisienne de très importants dommages. Dans celui de Versailles, 1500 arbres
furent abattus par le vent, rendant la restauration totale du parc
indispensable: 5 000 arbres devront être remplacés, pour un investissement de
250 millions de francs étalé sur vingt ans'. Dans les bois de Boulogne et de
Vincennes, plusieurs milliers d'arbres furent également abattus ou cassés. Les
trois tempêtes successives de février ont jeté à bas 2 millions de mètres
cubes de biomasse ligneuse dans les massifs gérés par l'Office national de la
forêt: Lorraine, Picardie, Normandie, Alsace, Centre, Île-de-France, Nord et
Pas-de-Calais. Ce sont surtout des hêtres, des résineux et dans
une moindre mesure des chênes qui ont été brisés ou déracinés dans
l'ensemble des massifs forestiers français par les tempêtes de 1990, soit au
total près de huit millions d'arbres. Lors
de la tempête qui souffla dans la nuit du 12 au 13 décembre 1952 sur les régions
du Centre et du Nord-Est, des vents de 185 km/h furent enregistrés à Tours, de
120 km/h à Nevers et 150 km/h à Paris‑tour Eiffel. Puis, de février à
juin 1967, une longue série de dépressions balayèrent la France. Les fronts
de tempêtes engendrent des vents soufflant fréquemment en rafales de plus de
100 km/h, certaines atteignant 180 200 km/h en Forêt Noire méridionale. Un
événement de cette ampleur ne se produit, d'après D. Doll, qu'une fois par siècle
en moyenne. Cinq ans plus tard, l'Allemagne subit en novembre un «ouragan 1» La
tempête de novembre 1982 fut également exceptionnelle par sa durée - deux
jours de vents forts - et par son étendue. La quasi-totalité du Massif central
subit, à un moment ou à un autre, un vent d'au moins 120 km/h, parfois
nettement plus. 12 millions de mètres cubes de bois sont abattus ou cassés, à
90 % des résineux, dont 7 millions en Auvergne. En Isère, 50 000 noyers sont
rasés. Cette tempête peu commune n'est pourtant que la première d'une série
qui a commotionné les forêts d'Europe au cours de la décennie, sans jamais épargner
la France. 1.
Le terme d'ouragan est parfois employé, sous nos latitudes, pour désigner une
tempête dont les vents soufflent à plus de 118 km/h.
La tempête de
Bretagne en 1987 La
tempête d'octobre 1987 reste dans les mémoires bretonnes comme l'une des plus
terribles. Elle fut curieusement peu évoquée par la presse
nationale, du moins dans un premier temps. Dans toute la région, les vitesses
maximales connues sont dépassées (J. Mounier, 1988). À Ouessant, les rafales
culminent à 187 km/h; à Lorient, elles atteignent 166 km/h, 176 km/h à
Saint-Brieuc. Des vents violents affectent la pointe du Raz (220-230 km/h,
vitesse estimée par la Météorologie) et la côte occidentale de la Manche
(216 km/h, qui constitue l'enregistrement le plus élevé dans cette région).
Cette tempête est alors considérée comme la plus violente survenue en France
depuis la création des stations météo. Elle sera presque égalée par celle
de l'hiver 1990 (vents de 140 km/h à Brest et 155 km/h à Quimper). Outre
Manche,
les vents sont aussi violents sinon plus. Les études statistiques britanniques
estiment qu'une tempête d'une telle violence ne se produit en moyenne que tous
les deux cents ans.
Les plus forts coup de vent enregistrés au cours de la tempête d'octobre 1987: ( Vitesses exprimées en km/h)
En
France, le bilan humain est faible (deux morts et une cinquante de blessés), grâce
notamment aux prévisions météorologiques 1
et la mise en état de pré alerte des organismes de secours, mais aussi du fait
de l'adaptation des populations de la région à ce type de risque.
Paradoxalement, le nombre de morts et de blessés fut plus important au cours
des journées qui suivirent la catastrophe (respectivement neuf et soixante), en
raison des accidents de tronçonnage en forêt et aux chutes de toitures. Les
dommages à l'agriculture se situent autour de 900 millions de francs. En
Bretagne, le volume de bois cassés ou déracinés atteint 7,5 millions de m':
le cinquième de la forêt bretonne est partiellement ou totalement détruit.
Les dommages aux équipements publics (Télécommunications, EDF, réseau
routier, ports) avoisinent 600 millions de francs et ceux aux biens particuliers
dépassent les 3 milliards (montant En Bretagne, il existe une adaptation de l'habitat face à l'exposition au risque de vent violent (les vents dominants étant généralement d'ouest). C'est pourquoi le bâti traditionnel et non vétuste fut peu atteint lors de la tempête. L'habitat plus récent a subi des dommages peu nombreux mais parfois très importants. Les bâtiments commerciaux et industriels ont subi de très graves dégâts. 1. Celles-ci avaient néanmoins sous-estimé la violence du phénomène.
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